PROJET AFRIQUE

 


Appel pour un fonds dédié à la recherche en Afrique

1- Le contexte international
Relever les défis qui se présentent en ce XXIe siècle à l’échelle planétaire et au niveau de chaque pays et de chaque continent demande une mobilisation accrue de l’ensemble de l’humanité prise dans toute sa diversité. Cela reposera sur l’apport des richesses (matérielles, intellectuelles/immatérielles…) de chaque population et de chaque société. A cette fin, la coopération et la solidarité doivent prévaloir sur la concurrence et les égoïsmes nationaux qui se sont révélés avec acuité en cette période de la pandémie de la COVID 19. Dans cette perspective, les relations commerciales et financières internationales doivent être refondées et l’organisation de la recherche scientifique, technologique et de l’innovation doit être profondément modifiée. 
Dans le contexte actuel de la globalisation, les pays peuvent difficilement s’intégrer dans l’économie mondiale et entrer en compétition sans une population  suffisamment qualifiée et sans une recherche scientifique de haut niveau. Plus généralement, et quel que soit le contexte, l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique sont des vecteurs majeurs de réduction de la pauvreté et de développement économique. Ils apportent une contribution indispensable à l’expertise et aux compétences nécessaires aux secteurs essentiels de la santé, l’éducation, la bonne gouvernance, l’environnement….
Tous les pays, sans exception, ont donc des raisons impérieuses pour continuer d’accroître significativement le niveau moyen d’éducation de leurs populations, et d’augmenter le volume, la pertinence et l’efficacité de leur recherche scientifique.

2- La situation de la Recherche en Afrique
Selon l’African Capacity Report 2017, publié par The African Capacity Building Foundation, l’Afrique est globalement en train d’augmenter ses capacités scientifiques, technologiques et d’innovation. Cependant, la situation est loin d’y être satisfaisante. En effet, les retards pris en matière d’infrastructures, d’équipements scientifiques et de valorisation des produits de la recherche sont réels et lourds. A cela s’ajoute la nécessité de recruter des chercheurs en nombre suffisant et avec les qualifications académiques requises et de rendre la fonction de chercheur suffisamment attractive pour « attirer » les meilleurs spécialistes dans la profession, limiter la fuite des cerveaux et motiver les jeunes à s’orienter vers les carrières scientifiques.
Et de fait, l’Afrique, qui représente aujourd’hui près de 15% de la population mondiale, ne dispose que de seulement 1% des capacités de recherche de par le monde. A cela deux raisons essentielles – hors motifs institutionnels et politiques – l’insuffisance des ressources humaines et un fort déficit en moyens financiers.

2-1: Le déficit en ressources humaines
On estimait au milieu de la dernière décennie que l’Afrique ne disposait que d’environ 80 scientifiques et ingénieurs par million d’habitants, lorsque ce nombre atteignait près de 150 au Brésil,  2.500 en Europe et 4.000 aux États-Unis d’Amérique.
Pour contribuer aux efforts de recherche scientifique des institutions pertinentes dont ils disposent déjà, les pays africains ne forment qu’un « petit » nombre de chercheurs potentiels. S’y ajoute la fuite des cerveaux. Dans ce sens, l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) estimait en 2011 qu’un sur neuf scientifiques formés en Afrique travaillait dans un pays de l’organisation, notamment en Amérique du Nord et en Europe. Et ce nombre va en augmentant en parallèle à l’accroissement général des flux migratoires à partir du continent. Ainsi, le nombre de migrants africains titulaires d’un diplôme du supérieur qui ont migré à l’étranger entre 2011 et 2016 serait de près 450.000, soit un flux égal à 90.000 par an.

2-2 : Le déficit en financement
L’une des raisons de cette énorme perte de forces vives par la recherche scientifique africaine est à relier – en plus de motifs politiques, institutionnels ou relatifs au faible niveau de vie et à l’insécurité – à l’insuffisance des ressources financières mises à la disposition des activités académiques et de recherche. Cela est illustré dans le tableau figurant en annexe portant sur la part du Produit intérieur brut (PIB) consacrée à la Recherche-développement (RD) dans un échantillon de 25 pays africains. Selon les données figurant dans ce tableau, les dépenses en RD, en proportion du PIB, vont de 0.01% dans l’un des pays les plus pauvres du continent, la Mauritanie, à 0,71 % au Maroc, 0,72 % en Égypte, 0,79 % au Kenya et 0,83% en Afrique du Sud, en passant par 0,03 % en Angola et 0,13 % au Nigeria (soit deux des plus riches pays pétroliers dans le monde).
La faiblesse de ces taux contribue aujourd’hui aux écarts croissants de développement entre le continent africain et le reste du monde. Cela est à mettre en perspective avec, par exemple, ce qui avait été projeté par l’Union européenne au début de ce siècle, dans le cadre de ce qui avait été appelé la « Stratégie de Lisbonne » qui stipulait, entre autres, que: « Si l’on veut réduire l’écart entre l’Union européenne et ses principaux concurrents, l’effort global en matière de RD et d’innovation dans l’Union européenne doit être fortement stimulé, et l’accent doit être mis plus particulièrement sur les technologies d’avant-garde. En conséquence, le Conseil européen considère que l’ensemble des dépenses en matière de RD et d’innovation dans l’Union doit augmenter, pour approcher 3 % du PIB d’ici 2010. Les deux tiers de ce nouvel investissement devraient provenir du secteur privé ».[1]La FMTS ne fait pas de cette stratégie un modèle, mais elle la combat, car elle contribue à un système mondial dominé par la concurrence économique et financière et par le pouvoir exorbitant  des entreprises multinationales. Cependant, les chiffres sont  ici éloquents, bien que, l’objectif de 3 % que s’était fixé l’UE n’a pas été atteint. En 2014[2], la R&D de l’UE s’élevait à 2 %, rattrapée en cela par la Chine passée de 1,3 % en 2005 à 2,05 % en 2014, alors que les États-Unis en étaient à 2,7 % et le Japon à 3,6 %.

3- Un fonds pour la recherche en Afrique
Si l’on veut véritablement prendre en compte les principaux défis auxquels les pays africains font face, qui sont ‘’l’explosion‘’ démographique, la sécurité alimentaire et sanitaire, le changement climatique, l’employabilité des diplômés et, plus largement, le développement économique, social et démocratique du continent, il est important de rechercher de nouveaux mécanismes de financement de la recherche en Afrique et, au-delà, de poser concrètement la question des moyens financiers et humains et celle des  dispositifs à mettre en place.
Consciente de ces défis et aussi des nouveaux enjeux comme des anciens, la FMTS propose la mise en place d’un mode de financement innovant dédié à la recherche en Afrique. Cette proposition est non seulement nécessaire, mais urgente pour le développement d’une recherche de haut niveau, réellement pertinente et efficace dans ce continent. Il s’agit là, en effet, de l’une des conditions majeures et nécessaires à la satisfaction des besoins des Africains et, au-delà, de l’ensemble de l’humanité : besoins de connaissance et de savoirs, besoins sociaux, besoins sanitaires, environnementaux et besoins de démocratie. Pour y parvenir, il importe que les universitaires et les chercheurs africains soient fortement impliqués dans les politiques de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche en Afrique, à travers les organisations régionales, sous régionales, nationales et locales. Dans cette perspective, nous promouvons et mettons en débat l’idée de la création d’un fonds dédié à la recherche en Afrique, arrimé à l’Union Africaine (UA).
L’objectif de ce fonds est de financer tous les projets de recherche fondamentale et de développement ciblés que les finances publiques des pays africains – en raison notamment de la grande pauvreté de la plupart d’entre eux – ne permettent pas de prendre en charge aujourd’hui. L’objectif sera aussi de financer l’amélioration de la pertinence des structures scientifiques et universitaires, ce qui exigera, dans certains cas, des ressources substantielles qu’il ne faudrait pas négliger.
Ce fonds serait articulé autour de cinq grandes sous-régions et/ou organisations sous régionales (Afrique du Nord, Communauté d’Afrique de l’Est, CEMAC, CEDEAO et Communauté de développement de l’Afrique australe). Il devrait être conçu, mis en place et gouverné par des instances exclusivement africaines et alimenté en premier lieu par les pays africains et par leurs partenaires au développement, intervenant sans contreparties politiques ou économiques (aux antipodes des plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale).

4- Les apports d’un tel fonds
Le premier intérêt d’un tel fonds réside dans sa souveraineté exclusivement africaine qui permettrait à l’Afrique de poser elle-même les véritables problématiques de recherche pour son développement et pour sa contribution au développement international, à travers les chercheurs africains établis sur le continent, et en collaboration avec ceux de la diaspora et, plus largement, avec la recherche internationale.
Le deuxième aspect positif d’un tel fonds serait la mutualisation des moyens humains, matériels, logistiques et technologiques à travers l’institution ou l’élargissement de grands centres régionaux de recherche et d’enseignement supérieur sous forme de plateformes connectées, avec des orientations/objectifs spécifiques ( la protection des ressources halieutiques, la protection de la forêt, la préservation de l’eau, la lutte contre la désertification, la lutte contre les épidémies, etc.).
Le troisième aspect positif serait la mise en place de conditions matérielles, institutionnelles et scientifiques véritablement attractives favorisant le retour (permanent ou périodique) de chercheurs africains en Afrique, attirant des chercheurs d’autres continents et, plus largement, accroissant l’attractivité des carrières scientifiques sur le continent africain.
Globalement, un tel fonds contribuerait au déploiement d’un cercle vertueux (boucle de rétroactions positives) entre le développement scientifique et technique et le développement économique, social et environnemental.

5- La stratégie opérationnelle pour financer ce Fonds
Le fait d’arrimer ce Fonds à l’UA doit contraindre les différents pays africains à adopter de véritables politiques de recherche pour le continent. Ainsi, chaque pays devrait progressivement augmenter son financement de la recherche avec l’objectif d’affecter au moins 2% (chiffre mis en débat) de son PIB à la recherche, dont 1% (chiffre mis en débat) constituerait sa contribution à l’alimentation de ce Fonds. Il n’est pas exclu que les partenaires au développement et la BAD puissent participer à ce financement, mais sans contrepartie contraignante. Ce Fonds, qui en retour devrait bénéficier à la R&D et à la population de chaque pays d’Afrique, devrait être réparti entre les cinq sous-régions et organisations sous-région ales déjà citées, chacune ayant ses propres mécanismes de fonctionnement, de suivi et de contrôle adaptés.
La politique de la recherche en Afrique doit avoir une cohérence pyramidale traduite dans les lois d’orientation de la recherche scientifique définies par chaque pays ainsi que dans les plans stratégiques de recherche élaborés par chaque institution d’enseignement supérieur et de recherche.
Afin d’accroître les capacités financières publiques en Afrique, indispensables au développement des politiques économiques, sociales, éducatives, de recherche…, des taxes particulières, à l’instar de la taxe Tobin, doivent être mises en place. Elles pourraient porter sur les industries extractives (notamment sur les produits miniers exportés à l’état brut), sur les entreprises de  téléphonie, sur l’exploitation des aéroports et des ports, sur les vols internationaux, sur les exportations de bois, sur les produits de la pêche exportés à l’état brut, sur les transferts financiers à partir de l’Afrique, sur les transferts de dividendes opérés au profit des entreprises étrangères délégataires de services publics, etc. .. 

6- Un nouveau cadre mondial
La pleine réussite d’un tel projet dédié à la promotion et au renforcement  de la recherche scientifique en Afrique requiert des changements importants dans les stratégies et les objectifs de la recherche au plan mondial dont, notamment:
– La généralisation des politiques en faveur de la science ouverte;
– La garantie du droit à la mobilité internationale de toutes les chercheuses et de tous les chercheurs et la rupture du contexte international actuel marqué par des politiques de plus en plus restrictives pour la circulation des scientifiques africains;
– L’orientation privilégiée des politiques de recherche vers, à côté de la recherche fondamentale, les problèmes/questions majeurs posés aujourd’hui à l’humanité comme le réchauffement climatique, la lutte contre les pandémies, la réduction de la pauvreté, le développement des ressources renouvelables, la digitalisation des économies, etc…
– La mise en place d’un Fonds mondial pour la recherche, dont l’un des objectifs serait de soutenir des fonds continentaux/régionaux, tel que celui dont il est question dans cet appel, avec pour finalité le développement économique et social durable.

Le Secrétariat International de la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques
juillet 2021

Annexe
Dépenses gouvernementales en Recherche – Développement en % du PIB 

 

[1] Lire: Recherche et innovation en France : surmonter nos handicaps au service de la croissance. https://www.senat.fr/rap/r07-392/r07-3923.html
[2] https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?oldid=390233