Ciência, Progresso e Crescimento Económico

“Science, progrès et croissance”

Contribution au débat ouvert lancé par la FMTS

Paris, le 13 mai 2011

Frederico Carvalho (Lisbonne, Portugal)

 

“It has become appallingly obvious

that our technology has exceeded our humanity”

Albert Einstein

Toute personne humaine ressent le désir de pourvoir aux besoins qu’elle considère comme nécessaires à une existence heureuse, dans d’autres mots, à bien vivre. Certains de ces besoins sont susceptibles d’être traduits en chiffres, comme la quantité de calories que l’on doit ingérer chaque jour pour se maintenir en bonne santé. D’autres ne sont pas quantifiables facilement ou pas du tout, dont les besoins affectifs, le respect et la considération reçus des autres membres de la société ou l’on s’insère, ou les besoins culturels de différentes natures. Il s’agit ici de biens immatériels dont la jouissance est aussi déterminante du bien-vivre.

Les notions de progrès et de croissance, ou ce qu’on considère par-là, sont étroitement liés aux conditions de vie de l’être humain en société. La science est un instrument, fruit d’un travail humain physique, intellectuel ou social, susceptible d’être utilisé pour la transformation du monde naturel, sociétés humaines comprises.

Dorénavant j’associerais au terme “progrès” le mot “social” et à “croissance” l’adjectif “économique”.

La croissance économique est couramment évaluée à partir de la valeur totale de la production interne de biens et services dans un pays donné au cours d’une année par les agents résidant à l’intérieur du territoire national. Cette valeur variant avec le temps on parle de croissance économique positive quand elle augment d’une année à l’autre, à prix constants. Il est erroné de prendre cette variation comme représentative de la qualité de vie (du bien-vivre) des membres de la société concernée, par plusieurs raisons dont le fait que la valeur dont on parle ne tient pas compte de la distribution de la richesse crée parmi les membres de la société ni des conditions dans lesquelles cette richesse est créée, dès lors le degré d’exploitation du travail et des ressources naturelles qui sont utilisées, en particulier des ressources naturelles non–renouvelables.

La planète qui est notre maison commune, est aujourd’hui en proie à trois crises majeures dont les effets sont convergents, à savoir:

  • la crise des altérations climatiques (parfois référée comme de  “l’échauffement global”);
  • la crise énergétique, et
  • la crise alimentaire.

La crise alimentaire est la conséquence de l’effet combiné des altérations climatiques, du plafonnement de la production mondiale de pétrole (dit en anglais “peak oil”) et de l’impact de la globalisation sur les droits des pauvres à l’alimentation et à la subsistance.

La crise “énergétique” apporte la fin du pétrole bon marché qui a alimenté l’industrialisation de la production et le “consumérisme” en tant que comportement social. Les altérations climatiques dont l’augmentation de la fréquence et l’intensité de phénomènes météorologiques extrêmes est l’une des manifestations plus troublantes, représentent une menace sérieuse à la survie même de l’espèce humaine sur la planète.[i]

Nous assistons aujourd’hui à la multiplication d’alertes issus de différents cercles, de personnes ou associations qui méritent crédibilité, dont le but est de contribuer au développement d’une conscience élargie non seulement du fait que les ressources naturelles dont nous pouvons disposer sont limitées mais aussi du fait que l’usage que nous en faisons n’est pas soutenable du point de vue de la quantité et est distordu du point de vue de la qualité. Un exemple paradigmatique est l’importante consommation de combustibles fossiles liée aux aventures guerrières dont le but semble-t-être de garantir l’accès aux sources de ces mêmes combustibles.

Un autre exemple est celui de la déforestation destinée à libérer d’importantes surfaces de terrain fertile à utiliser ultérieurement pour l’obtention de biocombustibles.

Reconnaissant que la croissance économique a des limites, nos efforts doivent être dirigés dans le sens de la construction d’une économie stable c’est à dire d’un état stationnaire (Steady State Economy)[ii]. Le concept d’état stationnaire se rapporte à des grandeurs physiques — toute composante non matérielle d’une économie, comme, par exemple, les connaissances, pouvant croître indéfiniment. Les composantes physiques ou matérielles, comme celles liées aux ressources naturelles, mais aussi la population humaine et le patrimoine construit mobilier ou immobilier, sont soumises aux contraintes des lois physiques et de leurs rapports avec le milieu écologique.

Il faut reconnaître qu’à ce jour, défendre l’abandon de la croissance économique comme objectif politique de premier plan ne trouve guère d’écho chez les cercles dirigeants comme chez les pouvoirs formels en place dans les pays dit développés aussi bien que chez certaines organisations internationales. Une telle idée serait vue comme étant fondamentalement hérétique. Voilà qui n’est pas surprenant si l’on se rappelle le fait que de nombreux gouvernements ont tenté de réagir à la présente crise financière avec des mesures “désespérées” dans le but de rétablir la croissance économique[iii]. Il parait utile de souligner que si l’on tourne le regard vers le passé, on remarquera que ce ne fut que dans les années 40 du siècle passé que les statistiques officielles régulières ont pris en compte l’indicateur économique “Produit intérieur brut” et ce à fin d’appuyer des objectifs spécifiques, tels que de stimuler l’emploi[iv].

Aussi est-il important de noter que l’indicateur PIB n’est pas directement traduisible en termes de qualité de vie. Des indicateurs tels que l’indicateur de progrès véritable (IPV) ou l’indicateur de bien être durable (IBED) ou encore l’indice de développement humain (IDH) qui tiennent en compte des aspects non purement économiques, au sens usuel[v], ouvrent une perspective de l’évolution du bien-être social assez différente de celle qui pourrait être déduite des courbes d’évolution du PIB[vi].

Dans le contexte de ces préoccupations il est important de souligner, d’abord, que l’avenir du monde dépend inévitablement de notre capacité à mettre en œuvre des mécanismes menant à une distribution équitable de la richesse — richesse créée et richesses naturelles. Deuxièmement, souligner le fait que l’évolution vers une économie de croissance zéro ou même de décroissance, doit être compatible avec l’augmentation de la consommation par habitant dans de nombreux pays aux prises avec une pauvreté répandue. Ce sera une condition sine qua non d’un progrès social réel à l’échelle de la planète.

Les profondes transformations impliquées dans les modifications structurelles nécessaires au passage de l’économie d’exploitation insensée des ressources humaines et naturelles de la planète à une économie de croissance zéro ou de décroissance, ne sera pas possible sans l’engagement des citoyens et la coordination des pouvoirs publiques libérés et non pas soumis aux intérêts égoïstes du grand capital. On trouve d’ailleurs dans l’histoire récente des “cas d’étude” qui démontrent l’importance du rôle de l’État, appuyé sur les structures publiques de science et technologie, dans des réalisations qui ont profondément marqué la société et les comportements humains. Je pense notamment aux applications pacifiques de l’atome, à l’internet, à la conquête spatiale ou même au décodage du génome humain.

Je voudrais enfin terminer, dans le peu de temps qui me reste, avec quelques brèves considérations sur le rôle qui revient, à mon avis, aux élites intellectuelles, en particulier, celles qui ont une culture scientifique qui doit en principe leur permettre de prendre la mesure de l’importance et de la complexité des défis qui sont posés à l’espèce humaine.

Les transformations sociales nécessaires seront l’œuvre des masses ou elles ne seront pas. Et à mon avis tout-porte à croire qu’elles seront accompagnées de convulsions sociales dont nous expérimentons d’ailleurs aujourd’hui déjà un avant-goût. Dans ce contexte je crois raisonnable de dire qu’il appartiendra aux élites intellectuelles, en particulier aux scientifiques, de développer en toute occasion qui se présentera, une action pédagogique appropriée ayant pour but d’éveiller la conscience populaire et de stimuler le pouvoir d’analyse critique de ses concitoyens vis-à-vis des grandes questions qui concernent l’avenir des futures générations. Ce qui va nécessairement de pair avec un effort de diffusion de connaissances et d’ouverture de perspectives dans des termes que ne puissent pas être compris comme matière non discutable, ipse dixit, magister dixit.

 

Merci de votre attention.

[i] Voir l’ouvrage de la Docteure Vandana Shiva, physicienne et philosophe, Soil Not Oil, South End Press ISBN 978-0-89608-782-8 (2008)

[ii] Voir: Daly, Herman (Lead Author); Robert Costanza (Topic Editor). 2009. “From a Failed Growth Economy to a Steady-State Economy.” in Encyclopedia of Earth. Eds. Cutler J. Cleveland (Washington, D.C.: Environmental Information Coalition, National Council for Science and the Environment). [Published in the Encyclopedia of Earth 5 June 2009; Retrieved 17 August 2009], http://www.eoearth.org/article/From_a_Failed_Growth_Economy_to_a_Steady-State_Economy .

Voir aussi: CASSE-Center for the Advancement of the Steady State Economy, “Enough is Enough” Conference Report, June 2010, http://steadystate.org/enough-is-enough/

[iii] Voir Peter Victor, “Questioning economic growth”, Nature, vol. 468, p.270-371, 18 Nov. 2010

[iv] Ibid. Il ne fut que dans les années 50 que la croissance économique est devenue une priorité politique de plein droit.

[v] Travail domestique, soins de santé, éducation, parmi d’autres (voir définitions)

[vi] Ibid.